« Basquiat x Warhol » : l’œuvre croisée
Depuis le 5 avril, la Fondation Louis Vuitton présente « Basquiat x Warhol, à quatre mains », une exposition qui explore la riche production artistique née de l’amitié et de la collaboration nouées entre le père du Pop Art et l’enfant terrible de la scène artistique du downtown new-yorkais des années 80. Deux poids lourds de l’histoire de l’art respectivement devenus des icônes, dont les œuvres communes et individuelles, mutuellement influencées par la pratique de l’un et de l’autre, sont à (re)découvrir, jusqu’au 28 août, à l’orée du bois de Boulogne.
Il est difficile d’imaginer que la collaboration entre Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat n’a duré que deux ans tant les œuvres qui en résultent sont nombreuses. « Un million de toiles » disait Basquiat. Dans la réalité, pas moins de 160 œuvres sont nées durant cette période brève mais prolifique, entre 1983 et 1985. Présentée jusqu’au 28 août et étendue sur les quatre niveaux de la Fondation Louis Vuitton, l’exposition « Basquiat x Warhol, à quatre mains » – dont le « X » du titre et le sous-titre « à quatre mains » transcrivent un croisement et une hybridation – présente l’œuvre commune de ses deux artistes. À travers 300 œuvres et documents, dont 80 toiles signées conjointement auxquelles s’ajoutent des œuvres de Keith Haring, Kenny Scharf ou encore Jenny Holzer offrant « une plongée dans la scène artistique du downtown new-yorkais des années 80 », elle retrace l’histoire de ce dialogue et témoigne de la perméabilité entre les œuvres de ces deux mastodontes, devenus les deux artistes les plus célébrés de la seconde moitié du XXème.
Les deux hommes se rencontrent officiellement en octobre 1982, à la Factory, sous l’impulsion de leur galeriste, le Suisse Bruno Bischofberger. Un premier contact marquant pour Jean-Michel Basquiat, qui le retranscrira d’ailleurs sur la toile Dos Cabezas. Andy Warhol a 54 ans, soit 32 de plus que Jean-Michel Basquiat, mais il est fasciné par la créativité débridée et la liberté de ton du jeune artiste, qui emprunte autant au graffiti qu’à l’art naïf. À l’inverse, ce dernier, qui n’a pas encore 22 ans, voit en Warhol un modèle. Il l’admire pour ses œuvres mêlant Art et pop culture, alors que lui-même puise son influence dans des esthétiques et cultures disparates.
Comme deux pianistes interprétant une partition en duo, l’un jouant en dialogue avec l’autre, Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat composent des œuvres fulgurantes, dans des formats parfois monumentaux, comptant parmi les plus grandes qu’ils aient jamais réalisées en solo. Pour Andy Warhol, les « plus réussies » sont celles où « on ne peut pas dire qui a fait quoi ». L’hybridation doit être complète. Cette fusion autour d’une œuvre commune conduira Keith Haring à comparer leur travail en duo à « ce que William S. Burroughs a appelé The Third Mind, c’est-à-dire la fusion de deux esprits extraordinaires qui en créent ainsi un troisième, unique et totalement distinct. »
Le croisement débute à l’automne 1983, suite à une commande de quinze œuvres par Bruno Bischofberger, qui invitent les deux artistes à travailler ensemble, en trio avec Francesco Clemente, pour en exposer le résultat un an plus tard, dans sa galerie de Zurich. Mais très vite, Andy Warhol avoue au galeriste avoir créé d’autres œuvres, avec Jean-Michel Basquiat seulement, et exprime son souhait organiser avec lui une exposition commune. Baptisée « Warhol / Basquiat : Paintings », celle-ci se tiendra à la galerie Tony Shafrazi de New York, en septembre et octobre 1985. D’abord exprimée sur des sérigraphies de Warhol sur lesquelles Basquiat peint, leur travail commun s’enrichit très rapidement. L’exposition aujourd’hui présentée à la Fondation Louis Vuitton reflète ainsi la richesse des supports sur lesquels s’est exprimée leur créativité, entre peintures, dessins et photographies.
Mais la critique de l’époque n’est pas aussi enthousiaste. Ce qui affectera particulièrement Jean-Michel Basquiat, qui finira par prendre ses distances avec Andy Warhol, au grand dam de ce dernier. Les deux comparses resteront cependant très proches. Et la mort, en février 1987 d’Andy Warhol affectera fortement Jean-Michel Basquiat, qui succombera à une overdose l’année suivante. Deux destins liés dont l’amitié fructueuse s’expose aujourd’hui, tordant le cou au stéréotype de l’artiste isolé, créant en solitaire dans sa tour d’ivoire. Un lieu commun qu’avait déjà remis en cause l’exposition « Alberto Giacometti/Salvador Dalí Jardin des Rêves », présentée jusqu’au 9 avril dernier à l’Institut Giacometti, à Paris.